♦ My Bloody Hell ♠

La pluie ne se décidait pas à tomber et pourtant, les nuages épais et noirs s’amoncelaient de plus en plus dans le ciel, Lucylia les observait faire en calculant le temps qu’il restait avant que l’orage n’éclate. Autour d’elle, la plus part des gens pleuraient en commençant par son père et sa mère, Stefan, son cousin, ne pleurait pas mais l’envie devait être insurmontable, elle le sentait dans la force qu’il mettait à lui tenir la main. De l’autre côté de la jeune fille, ses deux meilleurs amis, Seth et Stiles … Tout deux semblaient également extrêmement dévastés… Pourquoi ? Pourquoi tout le monde semblait si bouleversé ? Elle ramena son regard sur ce qu’il se passait devant elle mais n’arrivait toujours pas à y croire.

Pourtant, elle était bien là, les talons s’enfonçant dans la terre molle et la pelouse parfaitement tondue, dans sa robe noire. Elle était bien là, devant cette pierre tombale où était gravée le nom de son frère. Elle ne voulait pas y croire mais elle était bien là. Finalement, elle s’avança pour jeter sur le cercueil en bois ciré, une rose blanche, elle n’osa pas la lâcher tout de suite mais finit quand même par la lancer. En revenant à sa place, elle regarda à nouveau les alentours, mais cette fois, ce ne fut pas les gens qu’elle observait mais les corbeaux, les dizaines, les centaines, les milliers de corbeaux qui étaient là autour du cimetière, dans les arbres ou sur les tombes et les caveaux. Ils étaient là et murmuraient.

Lucylia les écoutait, elle devait bien être la seule à le faire dans ce moment tragique, elle écoutait les oiseaux noirs qui clamaient, qui s’énervaient, qui vociféraient, car eux, ils savaient, ils avaient tout vu, ils avaient été là, eux. Puis petit à petit, ils cessèrent leurs bavardages pour la regarder elle, pour la fixer de leurs yeux noirs, faisant frissonner le corps de la jeune fille comme un courant électrique longeant sa colonne vertébrale. Un instant passa puis l’un d’eux s’écria dans un croassement violent qui sembla être un coup de tonnerre aux oreilles de la demoiselle, il cria :
-Scorpio !

Alors les autres se mirent également à dire ce nom en battant des ailes avec violence. Ils étaient soudain si bruyants que leurs cris couvraient la voix du prêtre faisant son discours. Le père de Lucylia vint alors près d’elle et murmura :
-Emmène les plus loin.

Elle acquiesça et partit aussitôt, Stefan, Seth et Stiles presque immédiatement à sa suite. Dès qu’ils eurent quittés le cimetière, tous les corbeaux s’envolèrent formant bientôt un énorme nuage noir dans le ciel déjà bien sombre. Seulement trois oiseaux restèrent pour assister à la mise en terre. Quand ils furent assez loin et surtout hors des regards indiscrets, Lucylia s’arrêta et tendit son bras en l’air, l’avant-bras à l’horizontal et le poing fermé. Aussitôt, l’un des oiseaux vint se poser sur elle, entourant le membre fin de ses serres aiguisés.
-Merci d’être venus mais maintenant, il est temps que vous retourniez au travail.

Le corbeau acquiesça puis reprit son envol vers le reste du groupe, en un croassement le nuage de plumes noires se dispersa comme un feu d’artifice. L’un d’entre eux resta toute fois, suivant la demoiselle de loin. Les jeunes gens se remirent en marche jusqu’à un petit café où ils avaient l’habitude de se retrouver.
-ça va aller ? Demanda Seth en regardant Stefan qui reniflait bruyamment pour la troisième fois en cinq minutes.

Lucylia donna un petit coup de coude à son cousin puis répondit un peu sèchement afin de cacher ses propres émotions :
-Bien sur que oui.

Stiles échangea un regard avec son ami puis d’un commun accord ils préférèrent éviter de poser d’autres questions. Un silence s’installa donc entre les quatre camarades, que pouvaient-ils dire d’un côté ? La traqueuse regarda Stefan et lui passa la main dans les cheveux, comme il semblait toujours un peu abattu, elle lui dit avec un léger sourire :
-Quand on rentrera au manoir, va voir tante Rahzel, elle retirera ta douleur.
-Elle peut faire ça ? Demanda Stiles surpris.
-Pouvoir d’empathie ; elle aspire la douleur des autres, expliqua calmement Lucylia.
-Son rôle est donc Support, c’est ça ? Questionna alors Seth à son tour.
-C’est ça.

Cette histoire de rôle … Lucylia n’approuvait pas vraiment mais cela structurait leur famille depuis des générations … Elle soupira et regarda la serveuse apporter leur commande habituelle. Elle n’aimait pas du tout cette fille, principalement parce qu’elle se parfumait tellement que l’odeur en devenait écœurante et puis sa voix … Une voix criarde et désagréable qui s’accompagnait souvent d’un rire à vous mettre les poils au garde-à vous. Alors qu’elle foudroyait la jeune femme du regard, elle sentit une main venir caresser la sienne et sursauta, c’était Seth qui lui dit à voix-basse avec un doux sourire aux lèvres :
-Calme-toi, il ne faut pas que tu blesses des gens innocents.

Resserrant le poing, elle détourna le regard et se dégagea des doigts de son ami. Il fallait qu’elle se contrôle pour ne pas faire une bêtise. Mais … Si elle ne s’énervait pas contre cette serveuse …. Elle allait penser à Jason et cela faisait trop mal … Bien trop mal … Sa mâchoire se contracta et d’un geste violent elle se leva. Comme ses compagnons s’apprêtaient à limiter elle leur fit un geste sec de la main en s’exclamant un peu agressivement :
-Non ! Ne me suivez pas.

Aussitôt dit, elle se retourna et partit d’un pas rapide qui faisait claquer ses talons, provoquant un son rythmé et colérique. Les trois jeunes hommes la regardèrent longuement s’en aller sans savoir quoi dire ou quoi faire. Lucylia sortit du café et tourna aussitôt la tête sur le lampadaire se trouvant à sa gauche. Elle lança alors à l’oiseau posé dessus :
-Toi non plus tu n’as pas intérêt à me suivre.

L’animal étouffa un petit croassement et s’envola pour disparaitre bien vite pendant que sa maîtresse reprenait sa marche. Arpentant les ruelles étroites et désertes, elle laissa sa douleur exploser et frappa un mur de briques avec toute la force dont elle pouvait faire preuve. Des cris de souffrance et de rage s’échappèrent alors du fond de sa gorge pendant que des larmes venaient tracer des sillons sur ses joues pâles. Toute sa colère, toute sa peine, elle l’évacuait par la puissance qu’elle mettait dans ses coups mais également par ses hurlements. Les quelques passant qui l’entendaient, montrer une certaine angoisse ou une interrogation profonde en faisant un petit écart pour s’éloigner de la provenant de ce son d’outre-tombe.